Quel est le rôle de l’État dans l’enseignement de la culture religieuse dans les écoles ? Céline Ehrwein, professeure aux instituts liés au pôle Recherche appliquée et développement (HEIG-VD), met en évidence les raisons qui, selon elle, plaident en faveur d’une obligation pour l’État d’inscrire l’enseignement des religions et des croyances dans le programme scolaire.

L’enseignement de la culture religieuse : une obligation pour l’État

On entend souvent dire que la religion est une affaire personnelle. D’aucuns utilisent cet argument pour remettre en question non seulement le caractère obligatoire de l’enseignement religieux, mais aussi l’idée même qu’il puisse exister quelque chose comme un enseignement religieux dispensé par l’école publique. L’État n’aurait pas à offrir de cours de culture religieuse et encore moins à rendre ces cours obligatoires.

Cet argument omet de prendre en considération plusieurs éléments.

Il est vrai que la religion a trait à la vie privée et même intime des individus. Mais elle est aussi un phénomène social : déploiement de crèches dans les lieux publics à l’approche de Noël, port du voile, de la kippa, de pendentifs symboliques au travail et dans la rue, références religieuses dans la peinture, la musique, les jeux vidéo et les films, appels aux valeurs judéo-chrétiennes dans les discours politiques, etc. Les religions et les croyances qui les sous- tendent façonnent la société. Elles se matérialisent en outre dans des rythmes de vie, des habitudes alimentaires, des modes vestimentaires et même capillaires, qui, de manière plus ou moins marquée, impactent nos relations sociales et interpersonnelles. Ainsi donc, religions et croyances ne peuvent simplement être rangées dans l’univers des affaires privées. En tant que phénomène social, elles relèvent bel et bien du domaine public.

Et ce phénomène interfère sur des points qui relèvent clairement des missions et compétences de l’État.

Idéalement, l’autorité étatique a notamment pour fonction de veiller au vivre-ensemble harmonieux des individus au sein de la société. Elle se doit d’assurer autant que se peut les conditions nécessaires pour juguler les tensions induites par la diversité des points de vue et des modes de vie individuels et collectifs, et éviter que ces tensions ne se transforment en violence, mettant en péril la paix sociale. Cette mission se traduit dans l’obligation pour l’État de garantir à chacune et chacun, de manière égalitaire, le respect de ses droits et libertés. Afin de favoriser au mieux la paix sociale, l’autorité étatique assure l’égalité de traitement des individus et des communautés, mais aussi la mise en œuvre de mesures destinées à compenser, dans une certaine proportion, les inégalités existantes.

C’est dans ce cadre que s’inscrit le devoir de formation dont l’État est porteur. Ce dernier doit être attentif à ce que chaque enfant bénéficie, idéalement du moins, des mêmes chances pour pouvoir devenir un adulte capable d’évoluer dans le monde, de se positionner face à ses défis et contribuer à la vie sociale. Or, selon leur origine et le milieu familial dont ils sont issus, les jeunes ne disposent pas des mêmes éléments d’information pour appréhender le phénomène religieux, l’analyser et le comprendre. L’enseignement obligatoire est là, en principe, pour rééquilibrer en partie cette inégalité initiale, en veillant à ce que chaque enfant reçoive une même formation minimale à ce sujet.

Enfin, l’État se doit aussi de protéger les plus faibles (dont les enfants font partie) contre les risques d’atteinte à leur intégrité (physique et psychique) et à leurs droits. Sur ce point, le rôle des religions et des croyances n’est pas anodin : elles peuvent aussi bien être une ressource, permettant à des personnes particulièrement fragilisées de faire face à l’adversité, mais elles peuvent aussi les détruire entièrement. Dans ce contexte, il revient à l’État de veiller à ce que chacune et chacun disposent des outils nécessaires pour pouvoir se positionner de façon critique face aux discours religieux et à leurs possibles effets délétères.

 

Cet extrait provient de l’article « Quelle place pour la prise en compte de l’incroyance dans l’enseignement ? », de Céline Ehrwein. Il est disponible dans le n°48 de la Revue des Cèdres : Ce qu’il reste à croire.

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