La tolérance religieuse – une notion utile?

Au printemps 2015, le Département de l’instruction publique (DIP) de la République et canton de Genève décide, au nom de la laïcité de l’Etat, d’interdire aux écoliers de chanter L’Arche de Noé de Benjamin Britten. Cet article revient sur cette décision et la controverse qui l’a suivie. Sarah Nicolet effectue ses études en théologie à Genève, à la suite d’une licence en relations internationales et un doctorat en sciences politiques; elle est aujourd’hui pasteure dans le Jura. Amélie Barras est professeure assistante à l’Université  York (Canada),  spécialiste des relations entre politique, religion et droit. Extrait.

A l’heure actuelle, la régulation du religieux est souvent abordée par le biais de la notion de « tolérance religieuse ». En régulant le religieux, il s’agit de déterminer quelles pratiques ou quels signes religieux peuvent être tolérés dans la sphère publique et lesquels ne le peuvent pas. En d’autres termes, en s’appuyant sur la notion de tolérance religieuse, les décideurs politiques, mais aussi les chercheurs, ont tendance à concevoir les religions comme ayant deux faces : d’un côté, des pratiques et/ou des convictions religieuses qui méritent d’être tolérées dans l’espace public, car elles sont perçues comme ne mettant pas en danger les valeurs centrales des sociétés «libérales»; de l’autre, des pratiques et/ou des convictions perçues comme non tolérables, car s’écartant trop fortement de ces valeurs libérales.

Différentes recherches récentes  mettent en évidence les dangers d’une approche de la régulation du religieux basée sur la notion de tolérance religieuse. Premièrement, en dichotomisant les religions entre celles qui sont tolérables dans la sphère publique et celles qui ne le sont pas, on aboutit à une conceptualisation rigide des identités religieuses: soit une religion est tolérable, soit elle ne l’est pas. Cette approche est loin d’être en phase avec la religion telle qu’elle est vécue au quotidien, une religion flexible, individuelle, et qui varie en fonction des contextes. Certaines religions et leurs pratiques, en particulier les religions minoritaires comme l’islam, risquent aussi d’être identifiées systématiquement comme des formes non tolérables et d’être soumises à des exigences beaucoup plus sévères en matière d’adaptation et de réformes que d’autres religions.

Deuxièmement, une approche dichotomique de la religion entre formes tolérables et non tolérables conduit à aborder le religieux comme un problème à traiter. Reprenons le débat autour de l’interdiction de l’opéra [L’Arche de Noé] de Britten à Genève. La décision de la Direction générale de l’enseignement du canton de Genève conçoit la présence de prières chrétiennes comme un «problème» qui doit être géré et contrôlé, c’est-à-dire, dans ce cas précis, évacué de l’école. Le débat suscité par cette décision donne donc l’impression que la gestion du religieux se concentre sur l’identification de situations qui posent problème, plutôt que sur la résolution possible de ces problèmes.

Enfin, l’accent mis sur la tolérance religieuse débouche sur une hiérarchisation des acteurs de la régulation. D’un côté, les institutions publiques (parlements, gouvernements, tribunaux, mais aussi écoles, prisons, etc.) sont en position d’autorité et déterminent quelles pratiques/signes religieux sont tolérables. Alors que de l’autre côté, les acteurs religieux sont cantonnés à un rôle de demandeurs passifs, attendant qu’une décision soit rendue. La notion de «tolérance religieuse» repose donc sur une hiérarchie de pouvoir implicite où certains décident ce qui est tolérable ou non, alors que d’autres n’ont pas voix au chapitre.

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Cet extrait provient de l’article «Régulation du religieux et tolérance religieuse – de faux amis ?» de Sarah Nicolet et Amélie Barras. Il est disponible dans le n°45 de la Revue des Cèdres: La tolérance se cherche une religion.

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