Comment l’Église peut-elle accueillir la douleur et le deuil lié à la perte d’un enfant avant sa naissance ? Céline Jaillet, pasteure stagiaire dans l’Église évangélique réformée du canton de Vaud, propose des pistes de réflexion sur cet accompagnement bien particulier qui manque souvent de rites et de reconnaissance.

Le deuil périnatal n’est pas aisé à approcher, ne serait-ce qu’en raison de sa délimitation un peu floue et de son lien avec le monde subjectif. Comment réfléchir de manière juste et synthétique à un phénomène qui peut être volontaire ou involontaire, précoce ou tardif, sans tracas ou à grand éclat, isolé ou répété ? Comment avoir une parole pertinente alors que chacune et chacun se trouve confronté à l’un des exercices les plus difficiles : fixer le curseur entre le vivant et le rien […]

Il est possible de tomber sur de nombreux témoignages de femmes et d’hommes avec des blessures encore ouvertes suite à la prise en charge médicale de la perte de grossesse. S’il s’agit parfois de maladresses ou de mots mal choisis, une certaine conspiration du silence est régulièrement dénoncée, tant du côté des soignants que des patients. Par ce terme, il faut comprendre non seulement une absence ou des lacunes de communication entre soignants et patients, mais également une prise en charge expéditive et sédative de l’accouchement et du post-partum. Une des grandes blessures possibles est le manque de reconnaissance du lien que les parents ont déjà tissé avec leur bébé, de leur deuil, et parfois simplement du fait que l’enfant a existé […]

Il semble manquer un rite spécifique à cette perte particulière, tout comme le rite du répit est distinct d’un ensevelissement. Ce rite est une pierre blanche dans un accompagnement de longue haleine qui sollicite plusieurs instances. Il me semble en effet important de faire la distinction entre les apports et la posture des professionnels (de la santé, de l’Église), d’une part, des proches ou des bénévoles qui sont affiliés à des associations et des groupes de partage, d’autre part. Les ministres d’une Église, tout comme les soignants, ont un rôle précis à jouer dans un temps particulier au début de ce deuil. Il peut arriver qu’ils accompagnent les parents dans leur processus de deuil, mais tant les ministres que les soignants ne peuvent pas leur offrir les bienfaits de la cohésion d’un groupe de partage régulier ni du soutien de la famille et des amis intimes. Dès lors, l’enjeu du ministre est d’avoir avant tout des paroles et des gestes forts pour les parents comme pour la famille. Il s’agit de pouvoir à la fois prendre acte de la vie de l’enfant, prendre congé de lui et attester la souffrance du ou des parent/s de manière publique.

Ce rite ne fonctionne pas comme un substitut pour accorder la reconnaissance que recherchent la plupart des parents et qu’ils ne trouvent pas forcément à l’hôpital ou à l’état civil. L’enfant est accueilli dans une Église au nom du Dieu qu’elle confesse et qui l’inscrit dans la communauté du corps du Christ. Si cela permet d’établir la parentalité parfois refusée aux endeuillés, l’accueil et l’envoi de l’enfant dans les mains de Dieu peuvent déboucher sur un chemin d’espérance qui lui est propre, distinct de celui de ses parents. Une fois la séparation marquée rituellement, l’intercession peut à la fois être une consolation et sensibiliser l’assemblée présente à la souffrance qu’engendre cette situation. C’est le temps également où la perspective s’ouvre sur le monde par la prière pour celles et ceux qui ont déjà vécu cette perte particulière. S’en remettre à Dieu permet également de confesser une forme de consentement aux limites et de renoncer à une toute-puissance sur la vie afin de déculpabiliser à la fois la mère et le corps médical. Ce sont là des jalons pour un rite qui reste encore à constituer et travailler sur le terrain.

 

Cet extrait provient de l’article « Perdre un enfant avant sa naissance : S’inspirer du répit », de Céline Jaillet. Il est disponible dans le n°50 de la Revue des Cèdres : Accompagner la souffrance.