Le monothéisme biblique peut-il se montrer tolérant? ou est-il par nature intolérant? Le théologien André Gounelle, professeur émérite de la Faculté de Théologie de Montpellier, propose de faire deux détours judicieux par les thématiques de l’alliance et de la création. A la recherche d’un compromis, il présente un monothéisme pluraliste.  Extrait.

Si le particularisme de l’alliance risque d’inciter à éliminer ce qui ne relève pas d’elle, l’universalisme de la création court le danger de vouloir supprimer ce qui distingue. Dans les deux cas, on a la menace d’un totalitarisme intolérant qui rejette l’altérité, soit en l’excluant soit en l’absorbant.

Heureusement, dans le monothéisme chrétien, les deux thèmes coexistent, s’affrontent et se corrigent mutuellement. Celui de la création empêche que le Dieu de l’alliance ne devienne sectaire et exclusif: le Dieu de mon groupe est le Dieu de tous; personne n’en a le monopole, ce qui, en principe, devrait détourner du rejet, en son nom, de celui qui appartient à une communauté et à une religion différentes. Le thème de l’alliance empêche que le Dieu de tous ne devienne général et impersonnel ; il est celui qu’on rencontre dans son existence d’une manière à nulle autre semblable, dans une alliance spéciale. Toutefois, la relation vivante et unique qu’on a avec lui n’interdit nullement qu’il ait des liens différents, mais tout aussi vivants et uniques, avec n’importe laquelle de ses créatures. S’il se révèle et agit dans une histoire singulière (celle de l’Exode, celle d’Israël, celle de Jésus), il est aussi engagé dans d’autres histoires singulières, ce que suggère un texte d’Amos (9,7): «N’êtes vous pas pour moi comme les enfants des Ethiopiens, fils d’Israël? dit l’Eternel. N’ai-je pas fait sortir Israël du pays d’Egypte, comme j’ai fait sortir les Philistins de Caphtor et les Syriens de Kir?» Il n’y a ni une révélation exclusive ni une révélation générale, mais une multiplicité de révélations particulières.

La conjonction polémique de l’alliance et de la création a pour effet que le monothéisme n’implique pas forcément une uniformité religieuse, qu’elle soit obtenue par élimination de ce qui ne relève pas d’une alliance précise ou par incorporation dans un universalisme indifférencié. Il ne s’agit nullement d’harmoniser les deux thèmes dans une synthèse qui les neutraliserait et les figerait, mais de les comprendre et de les vivre dans une tension critique qui évite à la fois que l’unité détruise la pluralité et que la pluralité fasse obstacle à l’unité. L’intolérance ne découle pas de la foi en un Dieu unique (Israël), uni (tri-unité du christianisme traditionnel) ou un (islam), mais de la croyance en une seule révélation (ou alliance), qu’elle soit restreinte dans des limites strictement définies ou qu’elle englobe l’ensemble des êtres.


Cet extrait provient de l’article «Monothéisme biblique et intolérance» d’André Gounelle. Il est disponible dans le n°45 de la Revue des Cèdres: La tolérance se cherche une religion.

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