Pourquoi est-il si important pour chacun d’entre nous de pouvoir partager nos émotions et notre souffrance avec nos proches, notre entourage ou encore le personnel soignant ? Stephanie Clarke qui travaille au sein du service de neuropsychologie et de neuroréhabilitation du CHUV, propose un point de vue neuroscientifique sur les zones communes du cerveau sous-jacentes à nos émotions, nos interactions sociales et notre spiritualité pour répondre à cette question.
Sur le plan relationnel, la souffrance n’engage pas seulement celui qui est malade, mais aussi ses proches et les soignants. De même, la présence et le soutien des proches contribuent à adoucir le choc de la souffrance, avec comme mots clefs l’empathie, la compassion et les émotions. La dimension spirituelle de la souffrance apparaît à plusieurs niveaux. Tout d’abord, de nombreux textes bibliques exhortent chaque croyant à prendre soin des malades, comme un service pour Dieu[1]. Or, selon le message biblique, nos souffrances ne sont pas seulement partagées par nos proches, mais Dieu lui-même prend part à notre souffrance[2]. Bien que difficile à saisir intuitivement dans notre contexte culturel actuel, la souffrance du Christ sur la croix est le prix de notre salut et de notre espérance[3]. Les ondes de choc de la souffrance sont ressenties et peuvent être adoucies par les proches et par les soignants. Leur impact est aussi modéré selon le regard que nous posons sur l’éternité et l’espérance dans laquelle nous nous confions. Du point de vue des neurosciences cognitives, cette proximité entre la souffrance, les interactions sociales et la spiritualité n’est pas surprenante. Comme démontré au cours des trois dernières décennies, les émotions, les interactions sociales et la spiritualité dépendent des mêmes régions cérébrales, que l’on appelle aussi le cerveau social.
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Les neurosciences cognitives nous dressent un tableau où les émotions, les interactions sociales et la spiritualité se côtoient au niveau du cerveau social. Ces trois facettes sont aussi liées lorsqu’il s’agit de faire face à la souffrance au quotidien. La souffrance engage la personne qui souffre, ses proches et, très souvent, leur conception de Dieu et de la foi. Cette proximité avec les autres et avec Dieu rend pour beaucoup la souffrance supportable et les empêche de plonger dans le désespoir.
Cet extrait provient de l’article « Les multiples facettes du cerveau social », de Stephanie Clarke. Il est disponible dans le n°50 de la Revue des Cèdres : Accompagner la souffrance.
[1] « J’étais malade et vous m’avez visité », dit le roi dans la parabole que relate Jésus à ces disciples. « Quand t’avons-nous vu malade et sommes- nous allés vers toi ? » demandent ses interlocuteurs. « Dans la mesure où vous avez fait cela à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25,36.39-40).
[2] C’est évoqué dans le texte du prophète Ésaïe qui décrit les souffrances de celui qui est appelé le serviteur de l’Éternel : « Méprisé et abandonné des hommes, homme de douleur et habitué à la souffrance, semblable à celui devant qui l’on se voile la face, il était méprisé, nous ne l’avons pas considéré. Cependant, ce sont nos souffrances qu’il a portées, c’est de nos douleurs qu’il s’est chargé » (Es 53,3-4).
[3] L’épître aux Hébreux le résume d’une façon concise : « C’est lui qui, dans les jours de sa chair, offrit à grands cris et avec larmes, des prières et des supplications à celui qui pouvait le sauver de la mort. Ayant été exaucé à cause de sa piété, il a appris, bien qu’il fût le Fils, l’obéissance par ce qu’il a souffert. Après avoir été élevé à la perfection, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent l’auteur d’un salut éternel. » (He 5,7-9).