La posture d’accompagnant de la personne souffrante est délicate et demande un constant travail d’équilibre. La doctoresse Florence Depeusinge, cardiologue et formée à l’accompagnement des personnes gravement malade, questionne cette posture en mettant en lumière les principes clefs qui permettent un accompagnement dans la bienveillance.

Les proches, les soignants, les accompagnants spirituels de la personne vulnérable sont directement exposés à la souffrance de l’impuissance. Inévitable et loin d’être négligeable, cette souffrance mérite qu’on s’y arrête. C’est l’impuissance du « faire » : de guérir, de sauver, de faire le Bien. Et l’impuissance de l’être : impuissance fondamentale de celui ou celle qui, par une écoute active, par une présence thérapeutique, est là pour accueillir la souffrance de la personne vulnérable (« le cri du malade peut devenir parole s’il y a quelqu’un qui l’écoute », E. Bianchi). Et même impuissance de l’amour !

La souffrance peut être de différentes natures. Le premier type de souffrance est de nature narcissique, relevant du désir de toute-puissance : l’impuissance est vécue comme un échec personnel. C’est une souffrance toxique tant pour l’accompagnant que pour la personne vulnérable ; elle se traduira par une non-disponibilité, une fuite et donc un abandon, ou à l’inverse un activisme et un acharnement thérapeutiques. Cette souffrance peut même conduire à une forme de culpabilité et d’agressivité, autrement dit une humiliation, voire une maltraitance de la personne vulnérable. En tous les cas, c’est une souffrance qui vient s’ajouter à celle de la personne vulnérable, alors qu’elle ne lui appartient pas. Au contraire, il s’agirait d’« accepter de ne rien pouvoir faire, mais au moins ôter la souffrance de l’abandon » (C. Pichard). Le deuxième type de souffrance est de nature empathique ou projective, par identification à la personne vulnérable […]

Comme le souligne Paul Tillich, l’accompagnement, c’est surtout la rencontre vraie, entre deux personnes uniques, rencontre qui ne peut avoir lieu que dans l’humilité et la réciprocité. L’actuel prieur de la communauté œcuménique de Bose, Luciano Manicardi, le formule ainsi : « En accep- tant sa propre impuissance, on se place véritablement à côté du malade, avec lui. » Il s’agit donc de renoncer à vouloir guérir pour favoriser, grâce à l’authenticité de la rencontre qui est le ferment de la transformation, la croissance spirituelle et l’accès aux ressources de chacun. Pour l’hygiène et l’éthique de la rencontre, il faudra reconnaître sa propre souffrance, prendre conscience de ses propres émotions, de leurs conséquences, et en prendre soin. Avoir l’humilité d’accepter ses limites, jusqu’à avouer sa propre vulnérabilité. Il est aussi toujours utile de se demander pourquoi avoir choisi d’accompagner et d’affronter la souffrance des autres. Par ailleurs, on ne peut pas faire l’économie de s’être confronté à sa propre finitude, à sa culpabilité, à la solitude et à l’absurde, si on veut côtoyer la souffrance (P. Tillich). Lydia Müller, psychothérapeute, affirme du reste : « On n’a de réel pouvoir que sur sa propre souffrance, ce n’est qu’en l’apaisant qu’on devient vraiment apte à aider. En parlant de sa propre souffrance, on autorise le malade à parler vrai. » […] Et Marie de Hennezel de renchérir : « C’est en osant rester là, au cœur de notre impuissance qu’il se produit une communion intime. » La souffrance de l’impuissance, reconnue, acceptée et revisitée, peut donc avoir un sens.

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Accepter l’impuissance est une étape personnelle à franchir pour aller plus loin dans l’accompagnement. Elle fait appel à l’humilité sans laquelle il n’y a pas de vraie rencontre. L’essentiel est dans la qualité de la rencontre, qui peut aller jusqu’à l’expérience de la Transcendance.

 

Cet extrait provient de l’article « La souffrance de l’impuissance à la lumière de la rencontre », de la dresse Florence Depeursinge. Il est disponible dans le n°50 de la Revue des Cèdres : Accompagner la souffrance.