Comment penser à la question de fin de vie assistée à la lumière des croyances chrétiennes ? Yvan Bourquin, docteur en théologie, aborde ce sujet en le mettant en lien avec l’image de Dieu qui transparaît dans le récit du déluge, un Dieu fondamentalement non destructeur.

 

Au centre même de l’œuvre d’Albert Schweitzer se trouve l’expression Ehrfurcht vor dem Leben (« respect absolu de la vie »). Était-ce un principe d’éthique analogue qui a poussé un étudiant catholique à me poser la question suivante, alors que je présentais ce sujet devant une classe alsacienne de « théologie pratique professionnelle » : « Ne croyez-vous pas qu’en intervenant pour mettre fin à une vie, comme le fait l’association Exit, cela revient à prendre la place de Dieu?». « Donner » ou « octroyer » la mort : est-ce une prérogative divine ? Il faut mesurer les conséquences de cette position : elle ne peut se soutenir que si l’on croit en un Dieu à l’origine des souffrances et des catastrophes. Dans ma conviction et pour être conséquent, je ne peux accepter cette position, comme je l’ai déjà indiqué. Il me semble aberrant d’attribuer à Dieu la chute d’un avion, la virulence du sida, ou pire encore un tsunami dévastateur. On m’objectera le récit du déluge. Dieu n’a-t-il pas pris l’initiative d’une destruction massive ? N’est-il pas intervenu en force contre le déferlement du mal ? À vrai dire, une saine exégèse de ce passage ne peut pas en omettre la pointe théologique : « Certes, le cœur de l’homme est porté au mal dès sa jeunesse, mais plus jamais je ne frapperai tous les vivants comme je l’ai fait. […] J’établirai mon alliance avec vous : aucune chair ne sera plus exterminée par les eaux du Déluge, il n’y aura plus de Déluge pour ravager la terre. […] J’ai mis mon arc dans la nuée pour qu’il devienne un signe d’alliance entre moi et la terre » (Gn 8,21 ; 9,11.13). La pointe du récit est censée orienter notre lecture. De là découle un certain visage de Dieu : non destructeur. Plutôt que de supposer, en prenant le texte littéralement, que Dieu n’a choisi cette option qu’après avoir fait l’expérience de la destruction du mal, n’est-il pas plus judicieux de considérer ce texte comme une réponse à tous ceux qui voient la solution dans ce type de destruction massive des « méchants » ? En somme, le récit du déluge fonctionnerait par l’absurde : voyez bien ce qui arriverait si l’on voulait se débarrasser définitivement du mal en le détruisant ! Cela dit, demeure la question des limites à respecter dans l’assistance à la fin de vie.

Il y a ceux qui souffrent intensément à la suite d’un accident, d’une maladie, d’un choc affectif qui les a précipités dans la dépression. L’urgence est bien sûr de les aider à surmonter, à refaire surface. Mais si rien n’a d’effet ? Nous sommes là sur un terrain extrêmement périlleux. Les principes de la médecine s’opposent à une assistance « active », la législation également. C’est un sujet sur lequel nous pourrions échanger nos opinions. Je pencherais pour un traitement adéquat, visant seulement à atténuer les souffrances – et non pas pour un recours à une association comme Exit.

Il y a également ceux qui, en toute fin de vie, souhaitent abréger leurs souffrances. Je reprends ici la déclaration d’Estelle : « Je ne choisis pas la mort, elle m’est imposée par la maladie ; je choisis la manière de mourir » – la porte de sortie ! Dans ce cas – et seulement dans ce cas –, je ne parlerais pas de «suicide assisté», mais de «fin de vie assistée ». Il s’agit uniquement d’éviter une souffrance intolérable et inutile, dans le respect de la dignité de la personne humaine. Et je défends ce principe au nom du Dieu auquel je crois – tout en acceptant l’existence de points de vue différents.

Cet extrait provient de l’article « Fin de vie assistée : Quelles limites et quelle vision de Dieu ?», de Yvan Bourquin. Il est disponible dans le n°50 de la Revue des Cèdres : Accompagner la souffrance.