Est-ce à l’État de légiférer sur la coexistence religieuse? Entre l’acceptation sans grande conviction de la coexistence religieuse et son refus au risque des assemblées secrètes, le débat court à travers les siècles chez nos voisins français. Patrick Cabanel est historien, directeur d’études à l’École pratique des hautes études, titulaire de la chaire Histoire et sociologie des protestantismes.

L’Edit de Nantes, entré de longue date dans la «légende» de la construction à la française du pluralisme religieux, avait pourtant fait, à chaud, beaucoup de déçus et d’opposants. Si c’est la règle pour tous les textes de compromis, on doit signaler combien le sacrifice était dur à accepter pour les catholiques, qui voyaient inscrits dans la loi du royaume, et sans doute pour longtemps (jusqu’en octobre 1685 en vérité), la perte de l’unité religieuse, la liberté pour l’«erreur» de subsister et d’être protégés, la possibilité pour certains sujets du Roi de n’être pas ses coreligionnaires (c’est le début d’une «séparation» entre le politique et le religieux qui avait beaucoup d’avenir…). Aussi les différents parlements du Royaume, celui de Paris comme ceux de province, ont-ils regimbé à enregistrer l’édit et tenté de le «gratter» ou de le réécrire au moins à la marge, ce qui fait que le texte vérifié à Paris en février 1599 et qui a eu force de loi, était un peu moins favorable aux protestants que le document signé fin avril 1598 à Nantes.

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L’Edit de Nantes et son commentaire par Pierre de Belloy constituent, au choix, une avancée fondamentale, dans laquelle la France du IVe centenaire, en 1998, a voulu voir un geste inaugural, ou, à l’inverse, une forme de «privilège» qui venait clore l’histoire du protestantisme français en le figeant sur image, et ne lui laissant d’avenir que celui de s’amenuiser doucereusement jusqu’à disparaître. Du moins l’extrême violence en actes (les massacres de 1562 et 1572) ou en menaces (la Ligue) lui était-elle désormais épargnée. Et sans doute était-il vital que les choses commençassent par cette tolérance faite de provisoire et de «bon vouloir»; car outre qu’elle laissait souffler les victimes d’hier – et la France –, elle conduisait le juriste de Belloy à écrire ces quelques mots (qu’un Bossuet aurait oubliés en 1685, et la Terreur en 1793): qu’il est impossible de dominer sur les consciences par choses corporelles.


Cet extrait provient de l’article «Un éloge catholique de la tolérance en 1600» de Patrick Cabanel. Il est disponible dans le n°45 de la Revue des Cèdres: La tolérance se cherche une religion.

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