Comment se positionner face à nos doutes et laisser ces derniers devenir un élan plutôt qu’une entrave à nos croyances ? Les doutes nous permettent de laisser de la place à notre humanité selon Yannick Burri, professeur de philosophie au Gymnase de Morges, auteur de cet extrait d’article.

Comment se résoudre à accorder du crédit à ce Dieu chrétien « trois en un » mort sur la Croix pour racheter la nature peccamineuse de l’homme après avoir accompli son lot de miracles, homme-dieu ayant survécu à la mort ? Il me semble qu’un croyant n’a d’autre choix que de douter, face à tant d’inévidentes évidences. Et si ce doute peut parfois contribuer à freiner sa croyance, il devrait bien plutôt en constituer son moteur, celui d’une confiance qui n’aurait précisément rien à voir avec un quelconque aveuglement, d’une foi qui ne serait pas synonyme de crédulité, un doute qui signifierait que si nous faisons confiance, c’est bien que, quelque part, nous ne sommes pas si certains que cela de l’origine de nos origines, de la direction que doivent prendre nos actions ou nos interprétations des textes dits sacrés, qu’il subsiste une incertitude quant à notre sort après la mort, etc.

Reste que nous vivons aujourd’hui dans un monde rationaliste et technocratique où la science propose une explication satisfaisante à la plupart de nos questionnements, un monde hérité de Copernic, Galilée et Newton en somme. Devant tant d’évidences scientifiques, il paraît cohérent de se demander ce qui nous pousserait encore à croire. Après avoir lu Darwin remettant en cause, entre autres choses, l’idée bien ancrée d’un dieu créateur, après avoir parcouru quelques-unes des philosophies dites du « soupçon », Feuerbach tentant de lever le voile sur les illusions du christianisme, Nietzsche annonçant la mort de Dieu, et vivant tous quotidiennement assaillis par l’immense production du nouveau dieu appelé communément « science », nous serions tentés de troquer nos bancs d’église contre un microscope.

[…]

En effet, si l’on ne peut prouver l’existence de ce qu’on appelle « dieu » (bien que certaines preuves aient été avancées par des philosophes, preuves qui n’ont jamais, soit dit en passant, amené quiconque à se convertir), on ne peut pas davantage prouver son inexistence. […]

Disons-le dans un langage plus moderne : qui peut affirmer pouvoir se contenter de la théorie du Big Bang, autre visage d’un dieu plus contemporain ? Notre univers infini émanerait d’une boule d’énergie de la taille d’une tête d’épingle ? Cette thèse ne me persuade pas davantage que celle d’un Être ayant créé le monde en six jours.

En somme, devant tant de réponses proposées, la seule posture qui me paraisse tenable est celle du doute. Non pas ce doute hyperbolique dont nous parle Descartes, mais cette faculté de remettre systématiquement en question nos connaissances ou nos croyances en concédant qu’aucune ne paraît pleinement convaincante, qu’aucune ne mérite qu’on se batte en son nom, que ce doute qui agit comme un principe de précaution épistémologique conduit nécessairement à une forme d’humilité. […] Cette attitude consistant à avancer prudemment tenant compte de la nécessaire part de doute inhérente à chaque pensée n’a rien d’une faiblesse. Bien au contraire, c’est une force qui garantit plus d’exactitude dans notre quête de vérité, véritable moteur de nos réflexions. Croire en la force du doute, s’autoriser à douter de toute croyance, c’est la garantie d’un dialogue fécond entre les hommes.

 

Cet extrait provient de l’article « Douter de la croyance, croire en la force du doute », de Yannick Burri. Il est disponible dans le n°48 de la Revue des Cèdres : Ce qu’il reste à croire.

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