L’athéisme se décline au pluriel puisqu’il y autant de formes d’athéisme qu’il y a d’athées. Jean-Luc Blondel, ancien délégué du CICR et consultant en action humanitaire, questionne l’athéisme qui s’érige parfois en réaction aux croyances en un Dieu, mais de quel Dieu est-il question ?

L’athéisme ne naît pas du vide. On ne naît pas athée, on le devient… Je veux dire qu’il est souvent une réaction, une négation d’un quelque chose de perçu, imaginé ou reçu par une tradition, une éducation, une expérience. Tout comme l’expression d’une foi, l’athéisme est ainsi varié et doit se décliner au pluriel. Si l’athée critique la croyance en (un) dieu, le croyant peut aussi l’interroger :  en quel dieu ne crois-tu pas ? Je partage ici pleinement l’agacement d’une Delphine Horvilleur[1]:

« Comment pouvez-vous croire en Dieu aujourd’hui ? J’ignore combien de fois cette question m’a été posée. Il me semble avoir tenté bien souvent d’expliquer à mon interlocuteur que le Dieu auquel il ne croit pas, je n’y crois pas non plus. Cet iconique figure, omnisciente et interventionniste, qu’il voudrait tant me voir aimer, ce personnage à mi-chemin entre le Père Noël et le père fouettard, m’est aussi indigeste qu’à lui. »

[…]

Pluralité des athéismes, donc, comme il y a pluralité des convictions et expressions de la foi. Qu’on me permette de regretter cependant le manque de radicalité de nombre d’athéismes : ne pas croire en Dieu, passe encore, mais alors pourquoi le remplacer par des modèles d’une affligeante banalité ou à l’efficacité douteuse ? Combien de rayons de librairies, de bureaux de poste, les kiosques de gare n’ont-ils pas toutes les collections d’ouvrages sur le bonheur par les plantes, la maîtrise de soi, la pensée positive, la magnification de ses pouvoirs personnels, etc. ? Sans parler des « classiques », sexe, pouvoir et argent (un ami m’a rappelé que ces désirs n’en formaient en fait qu’un, décliné en une pulsion trinitaire…)

Là, bien sûr, rien de nouveau sous le soleil. « Où sont les dieux de ta fabrication ? Qu’ils se lèvent s’ils peuvent te sauver quand tu es malheureux, puisque les dieux sont devenus aussi nombreux que tes villes, ô Juda. » (Livre de Jérémie 2, 28) Depuis toujours l’homme crée des dieux à son image, cherchant à en maximiser l’efficacité, ou à exclure la concurrence théologique. Feuerbach avait raison, « l’anthropologie est le mystère de la théologie » – que j’interprète en : dis-moi quel homme tu es (veux être) et je te dirai en quel dieu tu crois, ou quel dieu tu construis.

[…]

Alors oui, je n’aime pas les athéismes de remplacement de ce Dieu compagnon par des dieux de pacotille ou de (pseudo)puissance. Si tuer Dieu c’est le remplacer par un dictateur, un barbu qui distribue, d’ailleurs arbitrairement, des cadeaux ou un Ego-dieu, alors non ! Tuer Dieu, Père du Christ, c’est tuer l’amour, car « Dieu est amour » (Première épitre de Jean 4, 8)   Si l’homme peut tuer Dieu, Dieu ne tue pas l’homme et tout massacre d’autres êtres humains au nom de Dieu est sans doute la forme extrême de l’athéisme pratique. Mais si l’athéisme est de ne pas croire à un tel dieu méchant, inhumain (sic !), alors les chrétiens sont, dans ce sens, des athées !

Je comprends ainsi qu’un tel athéisme signifie révolte, justifiée et nécessaire, contre le Mal. Un dieu qui laisserait naître et croître le mal, qui le justifierait (à travers ses théologiens et administrateurs), ce dieu n’existe pas. Je ne peux ni ne veux croire en lui. L’homme ne peut pas croire en un dieu qui l’avilit, le méprise, le tue. La présence du mal (Mal) n’est pas la preuve de l’inexistence de Dieu, mais l’invitation à y résister.

 

Cet extrait provient de l’article « Dieu et ses remplaçants… », de Jean-Luc Blondel. Il est disponible dans le n°48 de la Revue des Cèdres : Ce qu’il reste à croire.

[1] En tenue d’Eve. Femme, pudeur et judaïsme, Paris 2013, p. 169

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