Une confiance renouvelée pour l’Église – entretien avec Simon Weber

Le laboratoire Khi Recherche et Développement de l’EERV cherche à faire évoluer l’Église pour lui permettre de mieux faire face aux changements de la société. Il effectue un travail d’analyse, s’intéresse aux initiatives d’autres Églises et développe des outils. À sa tête, Simon Weber nous livre ses observations et ses pistes préférentielles. Simon Weber est pasteur, responsable Labo Khi Recherche et Développement et coordinateur du Service formation et accompagnement, Église évangélique réformée du canton de Vaud (EERV).

L’objectif est-il de viser un changement culturel pour l’institution et ses acteurs?

Nous parlons volontiers de changement de posture par rapport à la société. De plus en plus d’acteurs de cette Église constatent que la fréquentation aux activités diminue et qu’ils ne peuvent plus fonctionner comme par le passé. Malgré leurs tentatives de renouvellement, les résultats ne sont pas au rendez-vous. Nous cherchons à poser un regard neuf sur l’évolution des pratiques et sur leurs effets.

S’agit-il de mieux comprendre les phénomènes de sécularisation?

Oui, mais nous travaillons aussi sur la manière dont on perçoit, à l’interne des Églises, ce phénomène. On voit encore beaucoup de personnes qui se culpabilisent à propos des carences et des faiblesses des Églises. Nous cherchons à nous distancer de cette attitude paralysante pour constater, comme le précise le sociologue Zygmunt Bauman, que nous sommes entrés dans une société «liquide» dans laquelle les liens, les institutions et les besoins fluctuent fortement.

Faut-il, à votre avis, privilégier l’Église dans sa dimension de liens, de conviction ou d’image?

Les trois sont en jeu. La question de l’image renvoie à cette idée qui consiste à croire que les religions sont à l’origine de conflits et de violence. On peine à la réfuter ou à l’analyser avec un peu de distance et de bon sens, et le préjudice subi est important. Le manque de conviction est un reflet de la privatisation du religieux. Les réformés, peut-être plus que d’autres, sont mal à l’aise avec l’idée de communiquer à propos de leurs convictions. Ainsi la foi et les croyances ne sont plus mises en débat comme au temps de la Réforme. Une foi vivante se nourrit d’échanges critiques. Quant aux liens, ils se sont renforcés entre personnes engagées dans les Églises, mais relâchés avec les distancés, ceux qui n’y sont pas. Et les liens ne véhiculent souvent aucun contenu de conviction. Beaucoup de personnes s’en accommodent en adoptant un comportement étanche entre leurs réseaux sociaux externes à l’Église et ceux qu’ils ont à l’interne. Cette forme de dichotomie réduit encore la capacité de rayonnement de l’Évangile.

Vous avez une grande expérience de suivi des conseils de paroisse de l’EERV. Qu’en tirez-vous comme constat?

Je constate souvent qu’il n’y a plus de conviction en la pertinence de l’Évangile pour aujourd’hui. Il y a très peu de lieux et d’occasion de confronter ses croyances avec celles des contemporains. Pour y répondre, nous faisons la promotion d’un jeu appelé «Évang’îles» qui libère la parole à propos des convictions et qui permet de s’exercer en petit cercle à exprimer ce qu’on croit ou ne croit pas. Fréquemment, j’entends des personnes me dire qu’elles n’ont jamais eu de tels échanges au sein du conseil de paroisse. En plus, ces conseils gèrent avant tout les activités et ils le font bien, mais ils ne se sentent pas porteurs d’un contenu lié à l’Évangile. Il leur suffit que les professionnels, pasteurs ou diacres, s’en chargent.

J’observe encore que les communautés paroissiales ont une très faible surface de contact avec l’extérieur. Elles vivent comme dans des bulles, sans oser solliciter des compétences ou activer des réseaux autres que ceux de la paroisse. Dès lors, elles n’ont pas beaucoup l’occasion de favoriser un frottement avec des contenus de l’Évangile hors de leurs cadres balisés. L’effort est donc considérable pour adapter les contenus à la diversité des personnes et des groupes comme Jésus qui dialogue très différemment avec la Samaritaine, Nicodème ou le jeune homme riche.

On a parfois l’impression que l’Évangile n’intéresse plus personne aujourd’hui.

Nous sommes convaincus que certains thèmes comme la sécurité, la migration, l’écologie, la pauvreté ou la valeur propre ont une surface de contact importante avec l’Évangile. Il ne s’agit pas de voir l’Évangile comme la réponse à ces préoccupations, mais bien de mettre en dialogue ces thèmes avec cette source.

Il faut aussi faire attention et distinguer la critique des institutions ecclésiales de celle de l’Évangile. L’image du christianisme institutionnel n’est pas bonne. On le perçoit comme obsolète et inadapté au monde contemporain. Mais l’Évangile conserve son potentiel d’interpellation. Je suis convaincu que plus je lis l’Évangile, plus celui-ci m’amène à des déplacements, des interrogations critiques et fécondes.

À quelle Église rêvez-vous?

Je ne rêve pas d’une Église idéale à mettre en œuvre à la force du poignet. J’avance pas à pas et me laisse surprendre. La prochaine étape consiste à favoriser des libérations au sein des acteurs de l’Église. Libération des habitudes, des culpabilités et des contraintes que l’on se fixe. L’idée est de retrouver une fraîcheur nouvelle et une meilleure écoute face aux demandes réelles de sens et de spiritualité. Fréquemment, les acteurs des paroisses fantasment sur les demandes spirituelles de leurs contemporains et proposent des activités décalées. Ils ne sont pas vraiment en lien avec des personnes distancées et ne voient pas que le modèle de l’Église de propositions avec son catalogue d’offres ne rejoint plus la majorité de la population. Nous ne pouvons plus faire pour les gens, nous devons faire avec eux. Il est urgent d’aller à la rencontre de nos contemporains en quittant la zone de confort que représentent nos groupes et nos lieux traditionnels. Au-delà de la crainte et de l’angoisse, je rêve d’une Église qui entre dans une confiance renouvelée.

On vous entend beaucoup dire que «l’Église existe pour ceux qui n’y sont pas», cela ne conduit-il pas à un morcellement et à une dissolution de l’Église?

Je vois plutôt l’idée inverse qui consiste à dire que plus les personnes engagées en Église s’intéressent à ceux qui n’y sont pas, plus ils rendent l’Église vivante. La vocation de l’Église dépasse toujours le giron de ses fidèles, car elle porte une nouvelle appelée à traverser les frontières et les cloisonnements. L’Église puise dans la puissance même de l’Évangile cette capacité à se dépasser et à aimer le monde auquel elle appartient aussi, pleinement.

Cet entretien a été publié dans le n°46 de la Revue des Cèdres: L’Eglise, pour y venir.

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