La multitude de livres et manuels en librairies sur comment communier avec la Nature et construire une cabane par ses propres moyens interroge Lays Farra, diplômée d’un master en sciences des religions à la faculté de théologie et des sciences des religions de l’université de Lausanne. Dans son article « Bien plus par un échange avec la nature que par un échange avec la société », elle nous livre son regard critique sur ce fantasme de retourner à l’essentiel.
[Dans son ouvrage Walden (1854), Henry David Thoreau relate son] exil volontaire au bord du lac Walden dans un cagibi construit de ses mains et comment, par cette vie pure et autonome, il revint à l’essentiel. Il n’a pas inventé l’ermitage, mais il écrit en observateur plus qu’attentif de son écosystème forestier, parfait pour notre soif d’écologie ; et son pacifisme engage colle à notre timidité politique. […] Comme le dit Kathryn Schulz, son ‹ fantasme de la vie rustique › est surtout un fantasme ‹ d’échapper aux enchevêtrements et aux responsabilités de vivre avec d’autres gens ›. […] Des générations d’écolières et d’écoliers forcés de lire Walden en classe pouvaient rétorquer à ce géant inévitable du panthéon américain que c’était bien facile de jouer au trappeur philosophique quand Maman lave tes slips. […] Il n’était qu’à vingt minutes de marche de la maison de sa famille, où il irait plusieurs fois par semaine manger les cookies de sa mère ou dîner avec des amis. ».
[Dans Urbanisme (1925), le Corbusier] met le doigt sur le problème : c’est un fantasme compréhensible, inévitable vu notre vie moderne, mais pris au sérieux, c’est fondamentalement antisocial : « nous rêvons d’habiter quelque part une maison isolée pour assurer notre liberté […] la vie en communauté serrée est une astriction imposée par le fait même de la ville (événement irrésistible) et souffrant dans notre liberté compromise, nous rêvons (bien chimériquement) de briser le phénomène collectif qui nous enchaîne. »
Notre isolation est différente : toujours compartimentés par l’écheveau urbain, mais au contraire hyperconnectés, la télévision puis Internet ont pénétré nos foyers, déluges d’images plus ou moins interactives, plus ou moins virtuelles, mais très stimulantes, sans conteste. Manifestement, cela nous rend déjà antisociaux, donc souhaiter cinq minutes de paix et un bol d’air, est-ce vraiment ça qui va envenimer nos cœurs déjà concurrents ?
Le bien et le mal sont solidairement mélangés dans ce monde. Et dans ses fondations, des pointes de flèches, des rêves d’enfant, et beaucoup de sang coagulé. Mais se réfugier dans un rêve n’y fait rien.
Cet extrait provient de l’article « Bien plus par un échange avec la nature que par un échange avec la société », de Lays Farra. Il est disponible dans le n°51 de la Revue des Cèdres : Sauf le monde