Dans son article « Anthropocène et ingénierie climatique », Johanna Gouzouazi, doctorante en épistémologie et sociologie des sciences à l’Université de Strasbourg, montre que « l’Anthropocène est imaginé et construit a priori comme une argumentation au service de l’ingénierie climatique » dans les premiers articles publiés par Paul Joseph Crutzen (2000, 2002).

L’innovation de l’Anthropocène réside […] dans ce rapprochement impossible d’entités relevant de temporalités jusqu’alors considérées comme incommensurables : le temps humain et le temps géologique ne feraient désormais qu’un. […] Un lien est fait avec le passé, en termes d’idées, en s’inscrivant dans une histoire longue du développement technologique et de ses dégâts sur la planète. Un constat d’un important niveau de dégradation environnementale est ensuite exposé et son inscription dans l’immédiateté en fait un problème pressant, couplé d’une promesse d’aggravation future proche. Parler de l’Anthropocène présent permet l’entremêlement de plusieurs temporalités [et] la mise en avant de la notion d’un futur perçu, qui oscille entre la promesse technologique et la menace, par l’évocation de différentes catastrophes, plus ou moins imminentes. L’Anthropocène constitue ainsi tantôt un discours d’effondrement, tantôt un discours de promesse et de vision d’un avenir hypertechnologisé, limitant l’avenir à ces deux seules potentialités. […]

Dans les premiers discours de Crutzen sur l’Anthropocène, […] la géo-ingénierie se borne à une idée simplement évoquée en conclusion des articles, n’offrant encore au lecteur aucune solution manifeste et accessible autrement que par un exercice d’imagination purement spéculatif. […]  La construction de l’Anthropocène par Crutzen constitue un moyen de sélection parmi les futurs possibles et se rapproche en cela d’un exercice de futurologie, qui fait valoir une vision d’« hyperscience » (Chateauraynaud, 2011, p. 371). […]

Il s’agit simplement de flatter le sentiment de puissance des pays industrialisés, capables de maîtriser l’environnement mondial, et de parachever la forme de ce dernier pour mieux en assurer la transmission patrimoniale.

Cet extrait provient de l’article « Anthropocène et ingénierie climatique » de Johanna Gouzouazi. Il est disponible dans le n°51 de la Revue des Cèdres : Sauf le monde