Quelles sont les véritables implications de l’affirmation de la liberté dans un contexte mondialisé? En quoi la liberté est-elle un corollaire de la pluralité? Et qu’est-ce que cela implique finalement pour moi? Ghislain Waterlot est professeur de philosophie de la religion et d’éthique à la Faculté de théologie de l’UniGe (Université de Genève).

Toute société vit naturellement, spontanément, dans l’affirmation de soi et se rassure par les convictions et les valeurs qui la distinguent des autres. Ainsi l’intolérance est-elle de mise à l’écart des corps étrangers ou des dissidents. Une personne qui ne vibre pas à l’unisson des valeurs d’une communauté donnée représente un danger. Mais le jour où les circulations d’idées et de personnes deviennent telles qu’il n’est plus possible d’affirmer et d’imposer une tradition ou une manière de vivre, il ne peut plus être question de persévérer dans la volonté d’imposition sans menacer le corps social de désintégration violente. Les guerres de religion l’ont suffisamment appris aux Européens.

Et c’est ce qui est arrivé, que nous nommons aujourd’hui mondialisation, et qui est l’effet lointain de l’ouverture du monde à lui-même, commencée à la fin du XVe siècle. Avec cette ouverture, la notion de liberté s’est insinuée pour devenir progressivement la valeur centrale d’un mouvement de civilisation. A l’article 1 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, le premier mot qui vient pour qualifier l’humanité est l’adjectif «libre».

Dire «liberté», c’est tout aussi bien dire «différence». A moins de se moquer du monde, affirmer la liberté c’est consentir que tous n’auront pas les mêmes attitudes, ne prôneront pas les mêmes valeurs et donneront à la vérité des visages différents. Cette diversité est une menace pour une communauté, pour toute communauté, parce qu’elle est porteuse de tensions et de conflits. Dans un tel contexte, la tolérance prend une tout autre signification que celle évoquée jusqu’à présent dans ces lignes. La tolérance devient un corollaire de la liberté, la reconnaissance que si l’on prend au sérieux l’affirmation de la liberté, la pluralité sera irréductible, et qu’il va falloir consentir à la différence, exposée sous nos yeux et comme faisant partie de notre monde – et non pas d’un lointain exotisme. Prendre l’habitude de vivre avec la pluralité, c’est accepter d’être déstabilisé, c’est courir le risque du scepticisme et du relativisme dans le corps social. Mais il faut aller plus loin: vivre dans la pluralité, c’est accepter de changer soi-même, d’intégrer en soi-même, avec le risque de ne plus s’y reconnaître, des manières diverses et apparemment contradictoires de vivre le réel.


Cet extrait provient de l’article «La tolérance à ses deux sources» de Ghislain Waterlot. Il est disponible dans le n°45 de la Revue des Cèdres: La tolérance se cherche une religion.

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