La logique territoriale qui a présidé à l’organisation ecclésiale que nous connaissons aujourd’hui est bousculée par les réalités sociales. La mobilité des personnes augmente, on ne vit plus où l’on travaille, les villages perdent leur fonction de centre social. En prendre conscience est une condition pour envisager l’avenir. Jean-Marc Tétaz est théologien et docteur en philosophie de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS – Paris).

La structure paroissiale telle que nous la connaissons aujourd’hui est le résultat du croisement de deux logiques: une logique territoriale, dont la finalité était d’assurer à tous l’accès aux sacrements et, dans les Églises issues de la Réforme, à l’enseignement de l’Évangile (culte, catéchisme, etc.); une logique participative, visant à la réalisation d’une communauté de personnes souhaitant vivre activement leur foi chrétienne. La structure paroissiale rend justice à ces deux tâches sur la base d’une assignation territoriale: sauf exception, on est membre de telle paroisse en fonction de son lieu de domicile. Cette assignation territoriale permettait à la paroisse de jouer un rôle important de contrôle social (obligation de baptiser les enfants et de participer au culte dominical).

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Le modèle de la paroisse est toujours plus en porte-à-faux avec les réalités sociales du monde contemporain. On a vu qu’il combine une dimension géographique, le lieu de domicile, avec un programme d’intégration dans une communauté religieuse. Or, dans les sociétés contemporaines, la mobilité des individus est une caractéristique de plus en plus prégnante. Le lieu de domicile n’est plus le centre autour duquel s’organise toute la vie quotidienne. Ce trait est particulièrement marqué hors des agglomérations-centres. On travaille ailleurs, on achète ailleurs, on va ailleurs au spectacle, on part en week-end. Le village a perdu sa fonction de centre social; la disparition des bureaux de poste, les difficultés économiques des commerces de proximité, la fermeture de nombreux cafés villageois, tout cela est l’indice d’une mutation profonde de l’organisation sociale de l’espace. On habite volontiers à la campagne, pour la tranquillité et les paysages, mais on vit en ville, ou en agglomération. Dans les villes, les quartiers ont également largement perdu leurs anciennes fonctions. Ces mutations de la géographie sociale délitent les paroisses, dont la conception repose sur une structure géographique qui ne correspond plus à la géographie humaine du XXIe siècle.

Sur le plan sociologique ensuite, la socialisation religieuse a subi de profondes mutations. L’individualisation des engagements religieux, le caractère volontaire des affiliations et la déconfessionnalisation sont des tendances dominantes dont les effets vont croissants depuis un siècle. Les offres standardisées de socialisation religieuse trouvent un écho beaucoup plus faible qu’il y a trente ou quarante ans, quand tous les enfants de familles protestantes prenaient part au catéchisme; chacun cherche les lieux d’engagement religieux qui correspondent le mieux à ses attentes, ses goûts, ses orientations et ses besoins. Attendre des individus qu’ils s’engagent dans une communauté religieuse pour la seule raison que celle-ci leur est attribuée par la carte ecclésiastique semble le plus souvent illusoire. Qui plus est, l’idéal d’une participation active à la vie paroissiale obéit à une conception ecclésiologique qui voit dans la paroisse un contre-modèle opposé à une société moderne connotée négativement. Il ne parviendra donc que difficilement à attirer tous ceux, et c’est probablement une majorité aujourd’hui, qui se réjouissent des libertés et des possibilités de choix accrues que leur offrent les sociétés contemporaines.

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L’obsolescence des paroisses ne signe donc pas la mort de la dimension communautaire du christianisme protestant. Elle invite au contraire à inventer de nouvelles formes d’organisation, à la fois plus souples, mieux adaptées aux modes de vie contemporains et capables de mieux intégrer les formes plurielles que prend le christianisme au XXIe siècle.

Cet extrait provient de l’article «L’obsolescence de la paroisse» de Jean-Marc Tétaz. Il est disponible dans le n°46 de la Revue des Cèdres: L’Eglise, pour y venir.

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